EXPOS

CHARLES DREYFUS

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L'exposition est prolongée jusqu'au samedi 26 mai 2018 inclus

Youri Vincy
présente la cinquième exposition de Charles Dreyfus à la galerie Lara Vincy, un quart de siècle après la première en 1992. À l’époque, sa directrice était Liliane Vincy à qui nous souhaitons rendre ici hommage.
Sera montré à cette occasion un ensemble d’oeuvres récentes : des objets patiemment choisis par l’artiste pour y inscrire par la technique de la gravure des textes à plusieurs niveaux de lecture ; par ce processus associatif, ils deviennent les supports de ses anamorphoses langagières et forment ainsi l’objet-art.


par Bernard Valade

Poète, esthéticien, ‘critique’ d’art, - et en tout hors norme -, Charles Dreyfus est d’abord un casseur des dogmes les mieux établis et les plus défendus. « Casse-dogme », expression naguère revendiquée par le Grand Jeu, définit d’ailleurs bien le mouvement Fluxus dont il est à la fois l’acteur et le théoricien. Son itinéraire a été à plusieurs reprises retracé. On sait que le rejet de la « rupture », dont la modernité est la ronronnante rhétorique, l’a tôt conduit vers d’autres terres d’où il a pu prendre la mesure de l’inexistence de l’art de l’avant-garde académique, complaisante aux contradictions. Suivant l’exigence de George Maciunas d’en arriver au plus vite à l’expérience du monde concret, il y a mis en scène et en oeuvres diverses ce qui relève de ce constat. Du mémorable concert fluxus, musée Galliera en 1974, aux huit concerts-poésies donnés en 2016-2017, - dont le premier eut pour cadre la Maison de la Poésie à Paris -, ce sont 200 poésie-actions qui se sont succédé et auxquelles il a attaché son nom. Tous ces spectacles furent ordonnés au dessein de faire en sorte « qu’il n’y ait pas besoin que l’art existe ».

Ce qui est aujourd’hui exposé à la galerie Lara Vincy témoigne, une fois de plus, de ce que peuvent les signes quand ils ne sont pas au service du sens « établi », c’est-à-dire communément codé. D’autres associations nous sont, en effet, ici proposées, - sur fond de combinaison du lisible et du visible -, entre les choses et les mots. Ceux-ci ne sont pas encastrés dans un cartouche, - phrases ciselées et mots cloisonnés, dirait l’auteur de Métaphonie. Le sens est ici autrement donné, lapidairement : c’est la formule brève, contre l’extrait de la somme encyclopédique, - la liberté ou la mort -, attachée à l’objet auquel il faut rester attentif. De ce croisement de l’élément figuratif et de l’élément linguistique, naît la poésie concrète où se marque le passage de l’allégorie à la matière et de l’ornement à la substance. Il en résulte, dans les présentes oeuvres, une série de métaphores métamorphosées, - et de métamorphoses métaphorisées.

Préciser en quoi cette entreprise anti-théorique de contre écriture, placée sous le signe d’un constant transfert de sens, ressortit au bouleversement des ‘disciplines’ esthétiques par l’entrelacement de pratiques créatrices antérieurement opéré, permet de mettre au jour proximités, affinités et filiations. Les unes et les autres la rattachent, évidemment, à Fluxus, - L’avant-garde en mouvement, mais aussi à Christian Dotremont, - davantage à l’auteur des logogrammes qu’au créateur de Cobra -, à Henri Michaux qui nous invite à déchiffrer des mots « qui n’appartiennent pas encore à une phrase », à Raymond Queneau, bien sûr, pour qui « les mots aussi sont des objets fabriqués » que l’on peut « envisager indépendamment de leur sens ». Les jeux homophoniques de Raymond Roussel ne doivent pas non plus être oubliés. Sans s’arrêter aux calligrammes d’Apollinaire, et par-delà ce qu’ont dit successivement de lui Jules Romains, André Breton, Marcel Duchamp, et Michel Foucault, c’est finalement de Jean-Pierre Brisset que l’on rapprochera le propagateur de Fluxus en France. Ce dernier aura fait magnifiquement fructifier l’héritage légué par l’auteur de La Science de Dieu, complétée par Les Origines humaines (1913), où tout est ramené au « couac » (quoi ?) de la grenouille dont l’homme descend.

Voilà l’hôte de la galerie Lara Vincy en très bonne compagnie.

Voici Charles Dreyfus, toujours « sur la brèche » ouverte dans l’enceinte fortifiée du langage, maître en déliaison, en distorsion, en dérision qui se livre, quand il ne se tient pas au bord des failles, « à une occupation quelque peu mensongère », aussi discrètement que sobrement formulée : « je dors pour vous ».



par Charles Dreyfus

Suis-je mal armé ? Le tout sans nouveauté qu’un espacement de lecture. Certes mes lectures sont nombreuses et l’écart lui-même ne peut être que mouvant. Fluxus ça c’est cool et le tout, parlons-en, me dérida. Mon dada pour les échecs n’étant pas trop éloigné, je me retrouvai nez à nez avec un personnage, prétendant vivre comme un garçon de café, doté d’une jugeote donnant l’accès direct à l’écheveau du carrousel. D’expérience en expérience, j’ai compris que la néréide Tyché m’avait bien fourni un imaginaire galopant, je dus fuir la simplicité et la banalité de la pensée… L’ivresse du monde est mortelle et nous sommes pris vous et moi chers amis, dans son tourbillon

Tyché est parvenue à me secouer et je finis par m’identifier à mon devenu célébré Tout est art sauf les grenouilles. Insidieux l’homme créa. J’ajoutais à mon habit tout neuf une martingale que je publiais dans les journaux, une occupation quelque peu mensongère : Je dors pour vous. Je l’exerçais dans les divers établissements de la Société des Bains de mer, avec un certain succès, avant que mon manège ne soit repéré. Je dus fuir la Principauté. Projeté dans les cas pas cités, défiant le pire (pire que pire c’est encore pire) - au petit bonheur la chance - Tyché entichée, un temps s’aimant, je m’insérais corps et âme - dans ma période connue par la suite - comme Art au gant.

A la question mais que signifie ? Je réponds : lisez fort tout haut, que vos oreilles écoutent votre voix et laissez-vous imprégner du double sens, de la métaphore, de l’allégorie. Embrassez de votre regard ces formes sculptées par des mains puis rebaptisées par mes mots, sujets de ma fantasia.

Demain deux mètres, on n’a pas besoin des autres pour être le seul étalon. Malgré les apparences et autres circonstances, trop conscient, je guettais le kairos. Bien évidemment, cela ne servait à rien : on hasarde de perdre en voulant tout gagner. Pour un temps trop inopinément sans doute, impunément certes, je plaçais le langage au zénith. Peut-on reprocher aux sommets leur neige éternelle ?
Mollo, mon lot… Tyché m’a entiché.


Charles Dreyfus
Né en 1947 à Suresnes, France.
Vit et travaille à Paris.
Expositions personnelles à la galerie Lara Vincy : 1992, 1997, 2000, 2007
Biographie complète : http://www.lara-vincy.com/charles-dreyfus-fr/biographie/